Ma Vie de Kinoise

Kinshasa dans la tourmente…

19 janvier 2015…


Ce matin-là, comme tous les matins, Kinshasa se réveille de sa torpeur, mais tout le monde sait que la journée ne sera pas aussi tranquille que d’habitude. Les opposants ont appelé les habitants de Kinshasa à descendre dans la rue, pour manifester contre le vote à l’Assemblée Nationale de la loi électorale, qui d’après eux, contient des articles qui pourraient retarder les élections. On apprend que la police est positionnée partout,pour empêcher les éventuels manifestants d’atteindre le Palais du Peuple, siège du Parlement. Il y a très peu de circulation d’ailleurs. Moi, je ne travaille pas ce jour-là, et je choisis de garder Johann, mon fils, à la maison.

La matinée avance, nous sommes connectés sur les réseaux sociaux, et avons des nouvelles de ce qui se passe. Nous entendons des tirs de loin. Il semble que des balles réelles sont tirées sur les manifestants. Il y a des blessés, apprend-on plus tard.C’est un peu angoissant de vivre à distance des choses qui se passent si près…

Des images circulent…Certaines ne sont manifestement pas d’aujourd’hui, me dis-je. C’est aussi cela,les réseaux sociaux…A chacun d’avoir assez de jugeote pour discerner le faux du vrai…Il reste que la journée a été chaotique. Beaucoup de personnes parties travailler sont rentrées chez elles. L’inquiétude a gagné la ville, qui s’est vidée peu à peu. Nous nous couchons ce soir-là sans savoir si demain sera une journée normale.

Mardi 20 janvier


Nous nous préparons à aller travailler ma sœur Tatiana et moi, Johann est prêt pour l’école. Nous partons. Après avoir laissé mon fils à l’école, je vais au bureau, la journée commence, nous commentons tous notre expérience de la veille. Vers 9h, Tatiana m’appelle. Elle a ramené Johann à la maison, l’école a décidé de ne pas garder les enfants. La situation est toujours chaotique sur le terrain. Le centreville est loin de tout ça, mais les chosent s’accélèrent. Pendant la nuit, le gouvernement a décidé de couper la connexion Internet et les SMS, pour empêcher les manifestants de se mobiliser. Cela ne sert pas à grand-chose, puisque des manifestants, étudiants et autres, descendent de partout. Les bureaux se vident, tout le monde est sommé de rentrer chez soi. A 14h, la ville n’a jamais été aussi déserte et calme.

A la maison, il ne nous reste plus que la radio et la télévision pour nous parler de ce qui se passe. Pas les télévisions locales, mais les médias comme Tv5 ou France24. La journée se termine dans l’angoisse. Le lendemain, personne ne sort, les choses sont loin de se calmer.

Mercredi 21 janvier, 3ème jour de manifestation et de répression sanglante. La ville est toujours presque déserte, et les activités sont réduites au strict minimum. Les supermarchés ont ouverts. Je sors plus tard faire quelques courses.  Nous passons la soirée en famille, et attendons de savoir ce que sera le lendemain.

Jeudi 22 janvier


On commence à réaliser que nous ne saurons jamais combien de personnes sont mortes dans les manifestations, qui se sont calmées.

La circulation a repris à Kinshasa, après plusieurs jours d'incertitude La circulation a repris à Kinshasa, après plusieurs jours d’incertitude

Entre amis, nous nous appelons pour prendre ou donner des nouvelles. La ville est toujours déserte, il y a un peu de circulation, le sénat, qui devait voter la fameuse loi après l’Assemblée Nationale, a reporté le vote plusieurs fois. Un dispositif sécuritaire impressionnant est déployé à toutes les places…

La journée passe, encore une autre. Tous ces jours, j’ai reçu des appels de mes superviseurs au travail, qui prenaient des nouvelles, et m’informaient qu’il fallait encore rester chez soi. Le vendredi matin, nous nous réveillons, et attendons que la fameuse loi soit votée. C’est en milieu de journée que nous apprenons que le sénat a retiré le passage de la loi qui conditionnait l’organisation des élections à un recensement préalable. C’était la cause principale des manifestations. Ces manifestations n’auront donc pas servi à rien. Les policiers sont toujours postés partout, mais les manifestations ont cessé. Nous espérons qu’Internet nous sera rendu, avec les SMS mais c’est uniquement dans les entreprises que la connexion a été rétablie. Le week-end passe, calme, et lundi les activités reprennent tant bien que mal. Au bureau, je peux me connecter à Internet et constater le vide que la coupure d’Internet a créé. Très peu de nouvelles de chez nous, disons même pas du tout. La journée de travail termine, et c’est le lendemain, mardi, que la vie reprend réellement ses droits. Nous n’avons pas oublié la semaine passée, mais à Kinshasa, au Congo, c’est comme ça, il faut continuer de vivre, à tout prix… Kinshasa comme on l’aime, avec son trafic incessant, ses bruits que l’on connait par cœur, ses espoirs, ses doutes, mais aussi ses blessures à panser. Kinshasa que l’on aime ou que l’on déteste, mais que l’on ne peut quitter sans nostalgie…

Si la semaine dernière l’absence d’Internet et des SMS se faisait cruellement sentir, cette semaine, nous profitons pour respirer, voir des personnes proches et passer des vrais moments ensemble, sans interruption dues à la présence des portables. C’est paradoxal, mais cette coupure n’a pas que ses mauvais côtés, me dis-je. C’est aussi cela, quand on regarde les choses d’un œil moins noir.

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