Ma Vie de Kinoise

Reportage sur les enfants accusés de sorcellerie à Kinshasa (la suite)

L'interview avec Marie-Ange Lukiana, ministre du Genre L’interview avec Marie-Ange Lukiana, ministre du Genre
(voir première partie)

Quelques jours plus tard, nous devons rencontrer des ministres. Freddy me signale entretemps qu’il a découvert un « exorciste », un homme qui prétend combattre la sorcellerie. Son nom, Nicaise Musungibila. Il se fait appeler « anti-sorcier ». Ni prêtre, ni pasteur, il considère que la sorcellerie est une maladie pouvant être guérie. Il est réticent à parler avec des journalistes, les pourparlers sont en cours.

Avant cela, nous devons rencontrer le Ministre des affaires sociales, Barthélémy Bostwali. Nous avons réussi à caler un rendez-vous dans la matinée. L’échange est assez détendu, pendant un peu plus d’une heure. Il nous explique d’entrée de jeu que d’après des études menées par son ministère, les enfants accusés de sorcellerie constituent une grande partie des enfants de rue. Ce sont les conditions socio-économiques précaires qui poussent les parents à accuser leurs enfants de sorcellerie. ”C’est une manière pour eux de fuir leurs responsabilités”, ajoute-t-il. Mais cela, nous nous en doutions déjà.

Dans l’après-midi, nous devons rencontrer la Ministre du genre, famille et enfant, Marie-Ange Lukiana. Le rendez-vous est reporté en dernière minute. Ce n’est que quelques jours plus tard, en début de soirée, que nous la rencontrons. La ministre répond d’un air assez solennel, mais on la sent très informée de la réalité. Pour elle, ce que l’on appelle des enfants sorciers à Kinshasa, et au Congo, ce sont des antivaleurs développées par l’enfant suite à certains facteurs tels que la faim, ou les frustrations.
A entendre les deux ministres, la réalité est là, mais eux semblent impuissants à inverser la tendance. Voyons voir ce que nous dira cet ”antisorcier”.
Quelques jours plus tard, rendez-vous pris. Notre homme a accepté de nous laisser assister à une séance d’”exorcisme”. Moyennant paiement. Il exige 100 dollars. Curieux de voir ce que ce monsieur trafique, nous négocions, jusqu’à 25 dollars. Mais il est catégorique. Pas de caméra, mais les enregistreurs sont autorisés.
Ce matin-là, il pleut, mais notre petite équipe est décidée à se rendre à la Cité Verte, plus au sud de la ville, où ”antisorcier” vit et pratique son ”métier”.

L’équipe est au complet, Freddy, Emmanuel, et moi. Nous allons rejoindre Marie-Eve, membre de l’ONG JHR qui nous a accordé la bourse. Elle a été avec nous au centre où sont recueillies les filles et chez la ministre. Elle a elle aussi voulu être de la partie.
Il est 10 heures passées. Nous arrivons au lieu du rendez-vous. Une pancarte en bois placardée sur un petit portail indique antisorcier, lutte contre la sorcellerie. L’entrée est située juste au rond-point de la Cité Verte, à coté de plusieurs boutiques de quartier. Nous entrons, et nous retrouvons dans une parcelle plus grande que ne le laissait présager le portail. Freddy y est déjà venu, ayant découvert l’homme.

Chez “antisorcier” 


Antisorcier, nous reçoit, c’est un homme étrange. Maigre, boiteux, il a un regard inquiétant, on y lit de la méfiance et de la dureté. Il nous fait entrer dans son salon, nous nous installons, et ce sont les présentations. Encore plus méfiant, notre homme veut s’assurer que rien ne sera filmé. Nous le rassurons, et lui disons que nous travaillons tous pour la radio. Il accepte enfin de parler. Il s’appelle en fait Nicaise Musungibila, pratique ce ”métier” depuis qu’il a 12 ans, y ayant été initié par sa mère. Il enseigne cet ”art”, celui de ”détecter et soigner la sorcellerie” à ses enfants. Dans la pièce, une dame, en pagne et foulard sur la tête. Elle est venue avec une petite fille, maigre et chétive, qui a un ventre proéminent. Antisorcier nous la désigne, et nous indique que c’est une ”patiente”. La dame venue avec elle accepte de nous parler. Elle s’appelle “maman Nsimba” et nous dit que Merveille (la petite) a 8 ans (je lui en donnerai 5 ou 6 maximum), qu’elle habite chez sa grand-mère, dans la maison voisine, et est plutôt solitaire. Elle n’aime pas jouer avec les autres, reste toujours dans son coin, nous dit-elle en lingala. Elle est tout le temps malade, et « J’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas et je l’ai amenée chez ”papa anti ” » (c’est ainsi qu’elle appelle antisorcier). Antisorcier demande à la petite de s’approcher. Merveille approche, tête baissée. Il palpe sa tête, regarde ses yeux, puis déclare : ”Cet enfant est sorcière. Elle est au 12ème niveau de sorcellerie, et peut tuer et transmettre une maladie”. Le diagnostic est tombé, comme un verdict. J’ai la chair de poule. Je regarde les autres, qui jusque-là gardent leur calme. Antisorcier dit qu’il faut agir tout de suite. Il envoie sa fille acheter des cigarettes, et demande un verre d’eau. En attendant le retour de la jeune fille, il nous explique que la facturation des séances se fait selon le degré de sorcellerie. 10 dollars par degré, lâche-t-il. Nous faisons le calcul, puis nous nous regardons, atterrés.

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