On n’est plus la même personne quand on perd ses parents
14 mars 1993,
28 juillet 2019
26 ans entre ces deux dates. C’est dans cet intervalle que j’ai perdu mes deux parents. D’abord papa, en 1993, puis maman en 2019. C’est en parlant avec quelqu’un il y a quelques jours qu’il m’est venu à l’idée d’écrire. J’ai toujours gardé ces souvenirs douloureux au fond de moi, sauf de temps en temps, en famille, un souvenir de l’un ou de l’autre jaillit, et nous en parlons, ou lors de leur anniversaire de naissance ou de décès, la nostalgie me prend et j’écris sur Facebook ou sur mon statut WhatsApp.
La mort de mon père doit surement être mon premier et plus grand traumatisme d’enfance. Avant ça, je n’avais jamais été confrontée directement à la mort. Je savais qu’elle existait, mais surement pas pour les gens de ma famille. C’était un dimanche après-midi, paisible comme tous les dimanches. Assises à table mes sœurs et moi prenions notre repas en bavardant, quand papa est rentré du travail. Ce dimanche là il avait travaillé, et il semblait fatigué. Le soleil était au zénith, il faisait plus de 40 degrés.
Comme cela lui arrivait souvent, il s’est assoupi sur le canapé après avoir allumé la télévision. A un moment, il nous fait signe de parler moins fort, et nous nous exécutons, continuant notre repas en silence. Puis il se lève et va s’allonger dans leur chambre.
Le repas fini, je me dirige vers la chambre que nous partageons avec l’une de mes sœurs, et je me perds dans mes rêveries. Un ami de papa, que nous appelons “tonton John” comme toutes les personnes qui venaient à la maison chez nous à N’Djamena où nous vivions depuis 3 ans maintenant.
Tonton John est là depuis un long moment et avait apparemment rendez-vous avec papa. Il demande à maman de le réveiller, elle essaie et dit qu’il ne se réveille pas. De loin j’entends tonton John appeler “vieux! vieux!”. Je sors de la chambre et je trouve que tonton John est entré dans la chambre des parents, ce qui n’était jamais arrivé. Il revient appeler une personne qui était avec lui au salon, ils ressortent en portant papa, qui ronfle toujours. Un filet de sang coule de sa bouche. Je suis pétrifiée, dans l’incompréhension. Ils sont partis et ont pris la voiture, maman est avec eux. Je ne me rappelle pas où étaient mes sœurs, mais je sais que je me suis mise à genoux, j’ai compris que quelque chose de grave se passait et je voulais prier pour demander à Dieu de guérir papa. Ma prière finie, je suis retournée dans la chambre.
Je ne sais pas combien de temps s’est passé jusqu’à ce que maman revienne, avec tonton John. C’est la première fois que je la vois pleurer. Je ne comprends pas. Elle va vers leur chambre, sort les vêtements de papa de l’armoire et demande ce qu’elle doit donner. Je suis en panique parce que c’est la première fois que je vois ma maman si douce et calme habituellement en panique. Elle pleure, et dit “papa est mort”, alors je pleure aussi. Sans comprendre, mais je pleure.
Le deuil
Ce qui s’est passé les jours, les semaines puis les mois qui ont suivi, c’était comme un rêve. Les obsèques à N’Djamena, voir papa inerte dans une caisse, puis maman qui est rentrée seule au Zaïre pour son enterrement, puis revenir, le visage changé , triste et amaigrie. Puis il y a eu la fin de l’année scolaire, les valises faites, le “retour” au Zaïre après près de 6 ans loin du pays, un pays que je ne connaissais plus vu mon jeune âge quand nous sommes partis. A chaque fois je voulais demander “papa revient quand?” J’en rêvais, et nous étions à nouveau comme avant…mais ce n’est jamais arrivé. Je ne sais pas quand j’ai finalement réalisé que papa ne reviendrait pas, je devais être adolescente surement, en 1998. D’autres membres de famille sont décédés entretemps, mais je n’avais pas fini mon deuil, donc en pleurant c’est aussi mon père que je pleurais à chaque fois.
C’est auprès de cette petite fille que j’ai du me ressourcer et guérir, la prendre par la main et avancer avec elle, parce qu’elle s’est elle enfermée dans une cage, une bulle dorée où papa devait revenir.
(A suivre)
Partie 2 ici
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