On n’est plus la même personne quand on perd ses parents (partie 2)
Partie 1 ici
J’ai vécu le gros de ma vie sans père, maman est là, présente et immortelle à mes yeux. Elle joue depuis toutes ces années le rôle du père et de la mère, sans jamais se plaindre. Elle a décidé de consacrer le reste de ses jours à nous, ses enfants. Quand on lui demande si elle va se remarier (elle avait 45 ans au décès de papa), elle dit que non. Nous avons aussi découvert la femme de poigne qu’elle est. Si lorsque papa était là, elle était celle qui atténuait nos punitions et calmait nos bobos avec sa douceur, en son absence elle est devenue la main de fer dans le gant de velours qui nous rappelle à l’ordre, nous recadre, et nous rappelle les principes de vie.
C’est en devenant adulte qu’elle est devenue la bonne copine à qui je raconte mes journées et mes soucis, et qui rit de mes folies. Nous avons nos divergences, mais elle me connait et me comprend mieux que personne. Mon rêve, c’est de faire des voyages avec elle, parce que je sais qu’elle aime ça, et moi aussi. Je n’ai pu en faire qu’un, avec elle, Tatiana (ma petite sœur) et Johann (mon fils). Elle n’en a d’ailleurs pas bien profité parce qu’elle avait du mal à marcher et s’essoufflait vite.
Toutes ces années entretemps, j’ai eu peur de m’attacher, aux gens, aux lieux, pour ne pas les perdre comme j’ai perdu papa.
Le choc
2019. Après ce voyage à Pointe Noire, et après des mois de fatigues intenses et de saignements du nez, maman va passer des examens sur recommandation de ma sœur Annette, qui est médecin en Afrique du sud. Le médecin qui la suit à Kinshasa pense qu’elle fait de l’hypertension et lui prescrit des médicaments qu’elle prend en permanence. De temps en temps, il passe à la maison vérifier sa tension, mais nous lui disons qu’il doit y avoir autre chose. En avril et mai, maman passe une série d’examens, moi je suis en voyage, et au retour nous préparons son voyage pour l’Afrique du sud pour une meilleure prise en charge. En juin, nous fêtons son anniversaire mais elle est épuisée et mange très peu. J’appelle son médecin qui promet de passer mais ne vient pas. Début juillet, ça devient intenable, l’état de maman se détériore brusquement, je suis dans l’incompréhension, et on la conduit à l’hôpital, aux urgences. Elle passera des heures à attendre, avant qu’on ne la prenne enfin en charge. Elle est perfusée et reprend des forces, et on lui donne à manger. C’est là que j’apprends que des examens antérieurs avaient trouvé une tumeur dans son ventre, probablement au foie. Je suis atterrée. Le mot “cancer” est prononcé, bien que sous le choc, je me dis que maman est forte et pourra s’en sortir. Ce soir là, elle est hospitalisée, on lui fait une transfusion, et ma sœur reste avec elle cette nuit-là. Le lendemain, un médecin vient l’examiner, et demande des examens, qui seront faits tout au long de la semaine qui suit. Au fil des jours, nous nous relayons pour être avec elle à l’hôpital, nous assurer qu’elle ne manque de rien et l’aider autant que possible.
Les derniers jours
Un matin, je l’accompagne pour un scanner, dont je récupère les résultats le lendemain. Il y a un cd et une enveloppe. Ma sœur me demande de lui envoyer les images du cd, mais elles sont difficilement lisibles sur un ordinateur. Elle me dit qu’il va falloir se résoudre à ouvrir l’enveloppe avant que le médecin ne la voie. Je l’ouvre, prends en photo le diagnostic. Elle confirme que c’est un cancer du foie, à un stade avancé, et indique qu’il n’y a plus rien à faire, si ce n’est prier.
J’apporte le résultat à l’hôpital, et c’est au bout de 2 ou 3 jours seulement qu’un médecin le lit. Cet hôpital, un des plus grands du pays, est d’une négligence à faire pleurer. Il prescrit des médicaments. Ma sœur voyant la prescription, nous dit que l’un des médicaments sert habituellement avant une opération et que dans le cas présent il ne servira à rien puisque maman ne supportera pas une opération. Elle conseille de continuer avec les soins palliatifs, pour l’accompagner. Moi je refuse de croire qu’il n’y a plus rien à faire, je prie chaque jour pour qu’elle guérisse, et je sais au fond de moi, elle est immortelle. C’est encore la petite fille en moi qui parle… Le 27 juillet au soir, je rentre à la maison après avoir passé la journée à l’hôpital avec maman. Elle refuse qu’on l’aide à marcher ou la lave, elle veut tout faire seule, et parfois elle se lève pour partir, mais la force lui manque. Ce soir-là, c’est Tatiana, notre cadette, qui reste avec elle, elle passera la nuit avec elle. Avant de rentrer, j’ai emmené mon fils et les 3 garçons de ma sœur Josiane manger une glace. Ils ont le moral au plus bas parce qu’ils n’ont pas pu voir leur mémé, à qui on a changé de chambre. En vrai, le personnel médical l’a déplacée d’une chambre partagée à une chambre individuelle pour qu’elle parte en toute quiétude. Annette a appelé entretemps, pour me dire qu’elle a vu maman en appel vidéo il y a quelques minutes et qu’elle était “en train de partir”.
Tatiana m’écrit pour me dire que le médecin est passé, et qu’il dit que le temps est compté. Je me change, appelle Josiane et vais la chercher. Nous allons à l’hôpital, et c’est le début d’une longue nuit. J’ai mal au ventre, je vais régulièrement aux toilettes. Je me suis promise qu’au petit matin j’irai bruler un cierge à l’église pour sa guérison miraculeuse.
Nous prions, chantons, et parlons à maman, qui est inconsciente depuis notre arrivée. Elle tend juste les mains par moments et nous les saisissons. Annette appelle et demande à lui parler. Elle prie, puis lui dit qu’elle peut partir en paix, que tout ira bien, qu’elle a fait ce quelle avait à faire.
Toute la nuit, nous prions, sans dormir. A 3h du matin, le rythme de sa respiration change, elle devient plus bruyante. Cela continue une trentaine de minutes, et à un moment elle ne respire plus que par intermittence. Quelqu’un court appeler une infirmière, entretemps 3 fois maman a cessé de respirer. Elles arrivent à deux. L’une des infirmières nous demande de sortir, nous nous regardons atterrées et sortons. Quelques minutes plus tard, elle ressort et nous dit “c’est fini”. Nous nous regardons, l’air perdu, et rentrons dans la chambre. Maman est allongée, calme, elle ne respire plus. Nous sommes toutes en larmes, mais Josiane a la force de prendre son téléphone puis appeler les frères et sœurs de maman pour les informer. Comme dans un rêve, sur une civière maman est emmenée à la morgue et nous la suivons en procession, en larmes.
C’est fini…