Eric Ntumba “J’assume la plupart de mes positions sur la féminité et sur les qualités féminines” (Suite de l’interview)
Ceci est la suite de notre entretien, au cours duquel Eric s’est longuement confié sur son livre Une vie après le Styx
Mwana Molokai: Une vie après le Styx est un roman chargé d’émotion et assez difficile à dire, bien que le style soit simple et assez léger. Dans quelles conditions psychologiques et en combien de temps as-tu écrits?
Eric Ntumba: Alors, ce n’est pas un livre facile à lire. Je crois que là, on induit facilement qu’il n’a pas été facile à écrire, pour les conditions psychologiques, je ne saurais pas aller dans les détails. Je ne suis pas qualifié pour, mais c’était dans des conditions souvent difficiles. Le lecteur remarquera déjà la durée que le temps d’écriture a pris: plus ou moins 14 ans, avec peut-etre neuf ans de feuille blanche. Et l’auteur marquera à chaque fois que dans le texte , Sifa revient en disant “Ça fait longtemps que je ne t’ai pas écrit….” “Je reviens après autant de temps” parce que parfois, je pouvais laisser le livre à l’abandon pendant deux ans. Et quand je reprenais , c’était une lettre qui recommencait en précisant que ça faisait longtemps que je n’avais pas pu correspondre avec Emmanuel.
Et donc, oui, ça a été souvent des moments difficiles, souvent des moments de solitude. J’ai généralement pu écrire lorsque j’étais seul soit en mission, soit à la maison. Et généralement, ça suivait une phase d’indignation. Après un autre massacre, après un autre viol, après une autre exaction rendue publique. Je me disais toujours qu’il faut aller au-delà de l’émotion, et ma manière d’aller au-delà de l’émotion, c’était de coucher un ou deux chapitres. Et après, le plus dur, ça a été le temps de relecture et d’assemblage. Parce qu’au début, j’ai écrit de manière décousue et tout ce qui me venait après la mise en cohérence, la mise en mouvement, ça a pris un certain temps, à peu près un an et demi, deux ans de relecture et d’assemblage.
MM:Et tu as réussi à te mettre dans la peau d’une femme. Est-ce-que tu te rendais compte que tu arrivais à transcrire les émotions du femme tel qu’il le fallait?
EN: Alors c’était pour moi le plus grand défi. Et à chaque fois que j’ai eu une lectrice, je lui ai dit “Ecoute, j’aimerais savoir si je suis crédible. Si je ne suis pas crédible, il faut le dire”. Pour moi, c’était la plus grande équation à résoudre et je suis content que tu aies ressenti de la crédibilité dans le texte. Mais je remarque que de plus en plus, j’ai des retours dans ce sens et des femmes de tout âge qui me disent au-delà du fait que c’est un récit de femme qui est couché par la plume d’un homme, il y a des émotions réelles qu’on ressent. Donc oui, ça a été crédible. Comment est-ce que j’ai réussi? Bon, peut être parce qu’on a tous une part de féminité déjà ,assumée ou pas. Mais bon, on a en commun le chromosome X et je pense que moi, j’ai toujours évolué dans un environnement où la femme, soit ma mère, mes sœurs ou mes amies ont toujours été traitées sans différenciation par rapport aux hommes. Et on apprend d’elles. Voilà pour moi, la féminité, ça représente souvent ce qu’il y a de plus beau dans l’humanité et je pense que c’est cette part là que j’ai assumée en me mettant dans la peau d’une fillette, une fille de 14 ans.
MM:On te sent quand même très féministe, est-ce- qu’à un moment tu n’avais pas peur de léser les hommes?Parce que certains écrits sont très durs envers les hommes…
EN: C’est clair que certains écrits sont volontairement provocateurs. Je crois que dans ce roman, j’ai posé plus de questions que je n’ai apporté de réponses; donc à la fin, on ne sait pas dire quel est mon point de vue. Est ce que j’épouse totalement ce que dit Le vieux Solution par rapport à la supériorité de la femme? Ce n’est pas moi qui parle, c’est le vieux Solution. On ne sait pas dire quel est mon point de vue sur l’avortement.On ne sait pas dire quel est mon point de vue sur, par exemple, l’homosexualité. C’est une question que personne à part un lecteur qui m’a dit “tiens tu as parlé de cela sous tel angle…”Je remarque qu’on esquive le débat. Mais bon, c’est normal, la société congolaise n’y est certainement pas prête, même si ça a été effleuré dans le livre de manière très pudique et subtile. Mais ce sont des réalités que nos sociétés commencent à expérimenter.Et donc, oui, je pense que j’assume la plupart de mes positions sur la féminité et sur les qualités féminines qu’on gagnerait à intégrer dans le monde du travail, qu’on gagnerait à intégrer dans le monde politique. Ça a été un monde d’hommes jusque-là et on a vu ce que ça a produit. Et je crois que oui, plus de femmes, ça serait plus d’humanité, rien que dans l’équilibre puisque l’humanité est mâle et femelle. Et forcément, lorsqu’il manque un élément, il y a un déséquilibre qui peut être la source de bien des ennuis.Mais sinon, j’assume. Et j’assume aussi tout ce qui a été historiquement des stratagèmes de mâles pour empêcher la femme d’être dans un épanouissement, sinon équivalent ou supérieur. Je parle de l’excision, je parle de l’inégalité salariale, du droit de vote, de la répudiation, de la polygamie qui est bien souvent une manière de conditionner la femme pour qu’elle reste inférieure à l’homme. Et donc, oui, ce sont des choses qui gagneraient à changer. Mais je crois que pour être un peu juste par moments, j’ai fait aussi allusion à l’appropriation par des femmes, des mères, des grands mères de comportements typiquement masculins comme la pérennisation de l’excision. C’est souvent une décision de femmes, mais qui prennent là une posture très masculine dans la façon où elles répercutent ça, sociétalement. Mais oui, je suis un féministe assumé.
MM:Mais comment réagissent les hommes à ces passages?
EN: Les gens me disent que ça donne à réfléchir. Ça fait réfléchir. Mais je n’ai pas encore eu un retour totalement contre. Peut-être parce qu’on comprend que c’était un dialogue. J’ai même des hommes qui m’ont dit “J’ai dû relire le chapitre 9, je crois 3 fois, c’est le chapitre, je pense le plus intense du point de vue philosophique où les grands débats se posent. J’ai dû relire ça trois fois pour mieux te situer, te comprendre”. Et non, je n’ai pas de retour négatif. Non, pas vraiment. Surtout que je crois que ce que j’ai réussi à faire essayer de faire ressortir ici, c’est l’ambivalence de l’homme. C’est que le meilleur des hommes un matin peut devenir le pire des salauds le lendemain. Et ça, ça s’applique aussi aux femmes. Il y a un endroit où je pense, je parle de la violence que les femmes victimes sont capables d’infliger à une autre pensionnaire à PANZI juste parce qu’elles estiment qu’elle n’est pas du même monde. Je crois qu’à un moment, je pose la question de savoir- en fait c’est Sifa qui parle “ce docteur qui me parle avec tellement de tact , qui sait si le soir, en rentrant chez lui, il roue sa femme de coups?”. On est mi-ange mi-démon, il faut qu’on réussisse collectivement à faire ressortir la part de l’ange, mais c’est un effort constant parce que généralement, on est déçu. Pourquoi? Parce que quand on voit un homme qu’on avait en spéciale estime faire des choses qu’on estime totalement incompatibles avec l’image qu’on avait de lui. Et ça, personne n’y échappe totalement.
MM: Il y a toujours cette réalité qui reste d’actualité, est-ce que tu penses qu’un jour ça va cesser?
EN:Ça finira par cesser. Je crois que sur ce point là, on a atteint le fond. Le bien, quand on a atteint le fond, c’est qu’on ne peut pas vraiment aller plus bas, il n’a qu’une seule direction. Ça arrive qu’on gratte bien sur. J’espère qu’on ne va pas aller jusqu’à trouver du pétrole (rire). Il ne faut pas qu’on creuse, mais maintenant, je pense que c’est tout ça dans le terme Styx. Parce que le Styx, c’est vrai, c’est le fleuve des enfers. C’est vrai qu’elle réussit à le remonter. Et c’est vrai que chacun de nous, dans nos vies séparées, on a tous réussi, on essaye tous de vaincre certains styx. C’est un Styx qu’elle a réussi à vaincre, elle, personnellement, mais je crois que même collectivement, en tant que nation, la RDC, est passée par les feux de l’enfer, et gagnerait à en sortir. Le Styx, c’est aussi, en mythologie grecque, quelque part, le fleuve de l’invincibilité. Il y a aussi ce côté de se dire que si on réussit à dépasser ça, plus rien ne nous atteindra. Et j’espère que c’est vers cette direction qu’on on va aller. Individuellement ou collectivement. Mais bon, on connaît notre tendon d’Achille. Il faut juste qu’on réussisse à se départir de cette faiblesse là. Le reste, c’est de l’invincibilité. C’est une puissance économique potentielle. C’est une puissance culturelle et c’est une vivacité entrepreneuriale, une vivacité culturelle. Rien, rien pour moi, ne présage que la RDC reste là ou elle est.
MM: Dernière question. A quoi peut- on s’attendre après ce roman?
EN:Alors, à ce que je reprenne tranquillement ma petite vie jusqu’à ce que j’aie une inspiration similaire. Je n’ai pas de projet de carrière littéraire. Maintenant, ça peut s’imposer à moi. Si j’en fais un deuxième, un troisième, et que c’est bien accueilli… Mais je n’ai pas de plan de carrière. Je crois que l’inspiration, c’est quelque chose de compliqué. On ne l’appelle pas de soi même . Si vraiment un jour, quelque chose me pousse à écrire, je crois que je le ferai par amour pour les belles lettres. Mais non, je n’ai pas de chronogramme dans ce sens.
MM: Merci beaucoup Eric
EN: Merci Larissa. Merci à toi.