Voyages et Découvertes

Une vie après le Styx

Il y a quelques temps, j’ai été contactée par Eric Ntumba, que je connaissais de loin, sous d’autres casquettes (banquier, jeune leader engagé notamment), pour lire et présenter son livre, paru cette année aux éditions L’Harmattan. La lecture de ce livre m’a totalement bouleversée. “C’est une fiction”, me direz-vous. Vous aurez raison. Cependant, ce livre est tellement bien écrit, avec un tel réalisme, qu’on en oublie la fiction pour découvrir la réalité vécue par tant de femmes dans mon pays. Je partage donc avec vous la recension que j’ai faite à l’occasion du vernissage du livre.

(J’ai légèrement modifié le texte, mais ce sont mes mots en gros)

 

“Une vie après le Styx” se lit en quelques heures, d’un trait, la gorge serrée. C’était mon cas en tout cas. Pour la petite anecdote, j’ai lu les 50 premières pages et je pleurais à chaque page. Chaque scène, c’était comme un poignard dans le cœur. J’ai dû arrêter ma lecture, pour la reprendre une semaine après. L’auteur m’a avoué qu’il a souvent eu du mal à gérer ses émotions en écrivant. Lorsque l’on lit, on passe par plusieurs émotions: indignation, colère, tristesse, puis soulagement teinté d’amertume.

Une vie après le Styx, d’ Eric Ntumba, publié aux éditions L’Harmattan en 2019 a 170 pages.

Lors de ma présentation d’Une vie après le Styx

En couverture, on peut voir un cours d’eau, on croit deviner que c’est le lac Kivu, vu que c’est dans l’Est du pays que se passe l’histoire dont il est question ici. Le lac Kivu qui se veut une représentation du Styx sans doute… Le titre m’a ramenée à mes cours de latin au secondaire. Le Styx est un des fleuves des Enfers qui séparait le monde terrestre de celui-ci. Le Styx, affluent de la haine, le Phlégéthon rivière de flammes, l’Achéron le fleuve du chagrin, le Cocyte torrent des lamentations et le Léthé ruisseau de l’oubli, convergeaient au centre du monde souterrain vers un vaste marais. Comme les autres fleuves infernaux, le Styx a aussi pour objectif d’empêcher les morts de s’enfuir des Enfers.

Pour revenir au fameux parallélisme, c’est effectivement dans l’enfer que se sont retrouvées l’héroïne principale et d’autres femmes qui étaient ou pas ses compagnes d’infortune. Comme le Styx menait aux enfers, le Styx pour elles, ce serait cette fuite, qui les a menées dans les griffes de leurs bourreaux, pour y vivre un enfer sans nom, sans perspective d’espoir. Mais contrairement au Styx de la mythologie, il y a une vie après cet enfer. Une vie d’abord fade, sans perspective, à presque souhaiter la mort, jusqu’à ce qu’elle décide de garder l’enfant qu’elle porte et de vivre avec sa séropositivité. Il est possible de remonter le Styx et sortir de l’enfer, même si la vie de Malaika, notre héroïne, ne sera plus jamais le même. Elle a perdu son frère, mort dans ses bras sans sépulture, sa famille, et devra se faire à cette nouvelle vie, séropositive et attendant un enfant de plusieurs hommes en quelque sorte, car elle a subi un viol collectif pendant sa captivité.

Le style est recherché et léger à la fois; l’auteur a réussi à narrer le calvaire, ou plutôt l’enfer vécu par ces femmes enlevées et utilisées comme esclaves et objets sexuels avec un réalisme qui sidère.

Il a réussi à se mettre dans la peau d’une femme avec brio, on ressent les émotions de la narratrice, qui a choisi de raconter son histoire sous forme de lettre qu’elle écrit à un ami, un être aimé, Emmanuel, sur tous les supports qui peuvent lui servir depuis sa captivité jusqu’à son arrivée à l’hôpital de Panzi, un amour de jeunesse auquel elle décide de renoncer dans sa nouvelle vie. Ces lettres, elle ne les lui enverra finalement jamais. II y a la rencontre avec celui qu’elle appelle Dr Denis, le Dr Mukwege. D’abord méfiante envers lui comme envers tous les hommes, elle apprendra à l’écouter et à lui faire confiance.

Très vite aussi on arrive à situer dans le temps et l’espace l’histoire: nous sommes à l’époque de la fameuse agression rwando-ougando-burundaise, l’époque des accords de Sun City.

Il y a cette intéressante théorie qui essaie d’expliquer les actes de barbarie des hommes envers les femmes en temps de conflit: c’est un sentiment d’infériorité qui les y pousse.

Ce sentiment d’infériorité est expliqué en PP 136-137.

Je pense aussi que la phrase qui résume le mieux le livre se trouve en page 94-95: Quand le passé vous pourchasse et que le présent ne peut vous défendre, l’avenir reste la seule issue

Avec les professeurs Bertin Makolo et Jean-Marie Ngaki, qui ont eux aussi présenté le livre

 

 

 

 

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