Ma Vie de Kinoise

Ville fantôme

J’allais poster un bonus de mon voyage en train, mais là, le début de semaine dans la tourmente me fait écrire, pour exorciser la peur, l’angoisse et avoir l’impression de faire quelque chose.
Depuis lundi, Kinshasa  a encore sombré dans la tourmente. C’était presque la guerre dans certaines parties de la ville. J’ai vu des images de corps sans vie, couverts de sang, et bien sur des images du passé ressurgir. Moi, je vis dans la partie de la ville où c’était le calme plat. Entre chez moi et le centreville, c’était le désert, pas de circulation, personne dans les rues, des barrages de police. Un bus est passé me chercher à 6h lundi pour m’emmener travailler. La journée est passée si lentement, à entendre des nouvelles de coups de feu, de personnes tuées ou blessées, d’endroits saccagés, des déclarations incendiaires de politiciens…En fin de journée, on fait le bilan, compte les morts, les rumeurs courent, personne ne les fait taire, on vit dans la psychose de voir la connexion Internet coupée. 

Kinshasa ville fantôme


Mardi, deuxième jour de manifestations, nouvelle journée de travail, nouveaux tirs, nouveaux morts, apparemment c’est une matinée de représailles. Les sièges de certains partis de l’opposition ont été incendiés, des personnes y sont mortes, des jeunes sont arrêtés, la situation est tendue toute la journée encore. Moitié ville fantôme, moitié zone de guerre, Kinshasa souffre, et nous avec. Ce qu’on espère, c’est un miracle, que le président parle, dise un mot, calme la tension… Rien, toujours son légendaire silence. Ça fait mal…Je respire mal, ma tête est lourde…

Ce soir-là en rentrant, on me fait savoir de ne pas venir travailler le lendemain, je suis soulagée, je me rends compte que la tension, l’angoisse et les longues heures de travail m’ont épuisée autant physiquement que mentalement et je suis heureuse de pouvoir passer du temps en famille. Ce mardi soir, les rumeurs sont à leur comble, j’en ris tellement que ça me détend et je vais donc me coucher dans un éclat de rire : entre l’annonce de la mort du président dans un crash aérien, celle d’un couvre-feu annoncé par le gouvernement et cette blague qui circule sur l’incendie du fleuve Congo, je réalise que nous avons gardé notre sens de l’humour. Humour noir, mais humour quand même. Et cette créativité qui en étonne plus d’un…

Mercredi, c’est grasse matinée pour moi. Il est près de 10 heures quand je me réveille, reposée mais la tête lourde. Trop d’informations pour mon petit cerveau en 48h seulement, il réclame du repos. Je fais donc un « service minimum » sur les réseaux sociaux, et écoute de la musique. Je passe du temps avec mon fils, qui à un moment va regarder ses dessins animés. Vers 14h, nous sortons à Shoprite acheter quelques  boissons, et de la nourriture. Il y a du monde, la vie semble avoir repris. Je l’avais compris aux bruits et clameurs dans ma rue et au bruit de la circulation, encore timide certes, mais présente tout de même.

Photo Miss Bangala
Mercedi, photo presqu’au même endroit

15h passées, mon ami Miss passe nous chercher Johann et moi, pour aller visiter Bethyna, une autre amie, qui habite à Kinsuka, près du fleuve. Nous y passons un moment agréable, à papoter et rire un peu. Mon mal de tête est passé, c’est donc ce dont j’avais besoin. 17h passées, avant que la nuit ne tombe nous repartons, Miss me dépose et rentre chez elle.
Johann n’est pas allé à l’école depuis lundi, et il semble que ce sera comme ça jusque lundi prochain. Moi je reprends le chemin du travail ce jeudi matin, toute fraiche et bien reposée. Ce jour de repos impromptu m’aura fait du bien. La vie reprend ses droits, comme toujours…
Hier soir, on attendait un message du président, finalement c’est un communiqué « de la présidence » qui est lu sur la chaine nationale par un journaliste. Je ne suis pas déçue, je ne m’attendais pas à mieux. Mais je suis en colère : aucune annonce, que des condamnations et des paroles plates. Il ne se sent pas coupable de ce qui est arrivé. Bref, le « taiseux » a manqué une occasion de se taire.

Voilà, le calme est de retour, un calme précaire et semé d’incertitudes, parce que le 19 décembre, date de la fin de son mandat approche

One Comment

  • El Chapo

    Pour moi, c'est de loin ton chef d'oeuvre parce que tu t'es vraiment jetée à l'eau. C'est un vrai thriller, mes émotions ont oscillé.

    Tu t'es faite le porte-voix des hommes et des femmes congolais en particulier et des africains en général, merci LaDiak.

    Bonne continuation.

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