Reportage sur les enfants accusés de sorcellerie (3ème partie)
Des enfants des rues de Kinshasa
La jeune fille est de retour. Elle donne les cigarettes, des allumettes et le verre d’eau à son père. Il y a au moins 5 cigarettes, il les allume patiemment puis les fume, l’une après l’autre, en veillant à envoyer la fumée sur le visage de Merveille. Il lui demande d’aspirer cette fumée. A ce moment, Marie-Eve se lève. C’est trop pour elle. Antisorcier nous demande où elle va, nous lui répondons qu’elle ne supporte pas la fumée de la cigarette. Il a toujours son air méfiant, mais reprend sa ”cérémonie”. Il fait manger les mégots de cigarette à la petite, en lui précisant de ne rien avaler. Là, c’est plus que je ne peux supporter. Des larmes coulent de mes yeux, je tremble. Emmanuel me fait un petit signe d’encouragement. Je me retiens, en attendant que le calvaire soit fini. Antisorcier a fait mâcher tous les mégots à la petite. Il lui tend le verre d’eau et lui demande de boire. Elle boit, en s’efforçant de suivre les instructions. Quelques minutes plus tard, Merveille vomit. Antisorcier met une assiette en aluminium sous le menton de la petite. Le liquide qu’elle vomit a un aspect verdâtre. Je suis dégoutée, et laisse couler mes larmes, les essuyant discrètement. La petite ayant fini de vomir, il nous prend à témoin, touchant le vomi avec un morceau de bois ”vous voyez, il y a des cheveux, et des morceaux de sachet. Elle a mangé des gens, cette petite. Et ces sachets, c’est son moyen de locomotion, ce qu’elle utilise pour voyager en esprit”. Depuis que cette cérémonie a commencé, je n’ai pas dit un mot. Je suis en colère, révoltée. Nous avons rencontré un charlatan, de la pire espèce, et il manipule ces pauvres gens qui viennent le voir. Avant de partir, antisorcier déclare que la petite est guérie de sa sorcellerie, mais qu’elle doit se faire soigner d’une autre maladie, la cirrhose de foie, qu’il a diagnostiquée en palpant son ventre. (Ah, parce qu’il est médecin en plus, me dis-je amèrement).
La visite est finie. Nous retrouvons Marie-Eve, en colère parce qu’elle a craqué et n’a rien pu faire pour empêcher que cette petite, visiblement fragile et malade, ne soit maltraitée. Tout comme elle, nous sommes impuissants, et racontons nos impressions. Il est clair que nous avons rencontré un charlatan. Mais pourquoi et comment cette dame, cette maman Nsimba, a-t-elle convaincu la grand-mère de Merveille de lui laisser la petite pour qu’elle soit emmenée à un endroit qu’elle ignore ? Pourquoi cet homme profite-t-il de la crédulité de ces pauvres gens, pour leur soutirer de l’argent ?
Les garçons me félicitent de mon courage, mais je ne suis pas vraiment fière. Mes émotions sont contradictoires. Je me demande si j’ai eu raison de laisser la journaliste en moi avoir l’ascendant sur la femme.