Reportage sur les enfants accusés de sorcellerie à Kinshasa
Les faits que je raconte se sont passés en février 2009. Je n’ai jamais pensé raconter tout ça, peut-être pour oublier. Mais je réalise que ce genre de choses ne s’oublie pas, qu’on en reste marqué à vie.
Tout a commencé lorsque Freddy Mata, un collègue journaliste et moi, avons reçu une bourse de Journalists for Human Rights, une ONG canadienne. Cette bourse devait nous permettre de réaliser des reportages, que nous devions diffuser à la radio. Ayant plusieurs fois participé à des campagnes sur la question que nous comptions traiter- les enfants accusés de sorcellerie-Freddy a suggéré ce thème. Ensemble, nous avons travaillé sur les angles à traiter, choisi les personnes à interroger et formé une petite équipe de 3 pour nos descentes sur le terrain. Emmanuel, un ancien collègue de la radio qui travaillait alors dans une autre radio privée, devait nous rejoindre et produire des reportages pour sa radio.
Première étape, la rencontre avec des enfants accusés de sorcellerie. Cela s’est passé dans un centre qui accueillait des jeunes filles chassées de chez elles. Elles y étaient logées, nourries et fabriquaient des sacs en laine et autres petits accessoires avec l’encadrement des sœurs qui géraient l’endroit. Le directeur nous a accueilli et nous a expliqué que la plupart des filles, des adolescentes, s’étaient habituées à la vie dans la rue et malgré l’hébergement leur offert au centre, elles préféraient aller au centre-ville demander de l’argent aux passants et même se prostituer parfois pour des sommes minimes (entre 500 et 1000 francs congolais, soit la moitié d’un dollar ou un dollar). Beaucoup aussi ont adopté le mensonge comme mécanisme de défense, inventant des histoires à chaque fois qu’il leur était demandé de raconter leur vie. Nous avons néanmoins pu interroger quelques filles. L’une d’entre elles, Angèle, 14 ans, nous rapporte que sa tante a dit à sa mère que la jeune fille était la cause des malheurs de la famille et que si elle ne la chassait pas, toute la famille en souffrirait. Elle martèle d’une voix triste « Je ne suis pas une sorcière… ». Sarah est encore plus jeune. 11 ou 12 ans. De sa voix tremblotante, elle raconte que le mari de sa grande sœur la battait, l’accusant d’être à la base du retard de croissance de leur fille. Il l’a emmenée dans une église, où la jeune fille est restée à jeun 6 jours « pour faire partir les démons ». Excédée, elle est partie, pour fuir tout cela.
Nous partons de ce centre, la mine triste…